Le monde d’après en Chine : le live-commerce, ce nouveau mode de vie et… de survie

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L’épidémie et le confinement ont accéléré en Chine la vente en ligne grâce au live-streaming. Ce type d’e-commerce bat de nouveaux records d’audience et de vente depuis le mois d’avril.

Ce 1er avril, l’Internet chinois s’emballe. Le charismatique entrepreneur Luo Yonghao, converti en conseiller de vente en ligne, attire, dans sa toute première vidéo live sur Douyin (version chinoise du réseau social TikTok), plus de 48 millions de spectateurs. En trois heures, il réalise 14,2 millions d'euros de chiffre d'affaires. De son côté, Xin Ba, un vieux routier du live-streaming (vidéo en direct), n’hésite pas à montrer ses muscles en se vantant d’avoir vendu 620 millions d'euros de produits sur Kuaishou, une autre plateforme de streaming vidéo. Au même moment, sur Taobao (équivalent d’Amazon en Chine), Wei Ya, une « streameuse » également réputée, réussit à vendre rien de moins qu’un service lié à un lancement de fusée pour un montant de 5,17 millions d’euros, proposé par une branche de la China Aerospace Science and Industry Corporation. Spectatrice de ce match inouï, la presse locale s’extasie et confirme : il ne s’agit pas de poissons d’avril.

C’est dans ces conditions surréalistes que la guerre du live-commerce est déclarée en Chine entre toutes ces différentes plateformes. Une journée historique, selon certains observateurs de la tech chinoise. Depuis l’année 2019, le live-commerce (vente en ligne via vidéo en direct) ne cesse de battre des records en Chine. Sur fond d'épidémie et de récession, cet outil multimédia se démocratise très vite. Tous les secteurs économiques, de l'immobilier à l’agriculture en passant par le luxe, s’empressent aujourd’hui de sauter dans le train. Le phénomène de société est en passe de devenir un nouveau mode de vie, sinon de survie. Pour enfoncer le clou, Zhang Yuanyuan, ancien responsable de Taobao, prévoit même que « dans le futur, le live-streaming sera tout comme l’eau, l’électricité et le charbon de l’Internet ». Le live-streaming nouvel outil de première nécessité : bienvenu dans le monde d’après en Chine.

Douyin cherche à vendre directement sur sa plateforme

Affiche du premier live-streaming de Luo Yonghao sur Douyin © Compte officiel Weibo de Luo Yonghao

Selon le dernier rapport publié le 5 janvier par la société financière Cmschina, en 2019, le live-commerce en Chine aurait atteint 38,9 milliards d’euros de volume de transactions. Ce chiffre pourrait tripler dans un futur proche. C’est ce rapport qui a inspiré Luo Yonghao, fondateur d’une marque de smartphone désormais en faillite, à se lancer dans le live-commerce. Entrepreneur atypique, il est avant tout une célébrité du Web, influenceur d’une population d’internautes chinois plutôt masculine et de classe moyenne. Sur Weibo, le Twitter chinois, il est suivi par 16,7 millions d’internautes. Entre grand tribun et humoriste, un brin naïf et provocateur, ce quadragénaire fait sensation à chaque apparition publique. Comment monnayer son influence digitale ? Le « Vieux Luo », comme l’appellent affectueusement ses fans, n’aura jamais autant réfléchi sur cette question que pendant le confinement. Au même moment, la plateforme Douyin, du groupe chinois ByteDance, se posait la même question. Avec chaque jour près de 400 millions d’utilisateurs actifs, elle est l’un des réseaux sociaux chinois les plus prometteurs. Mais cette plateforme de vidéos courtes ne se contente pas de son modèle économique basé sur les publicités : elle cherche à croquer dans le gâteau du live-streaming pour vendre des produits.

La coopération entre le « Vieux Luo » et Douyin s’est donc faite naturellement. Selon certains médias, l’entreprise lui aurait signé un gros chèque de 7,8 millions d’euros. Le 1er avril, comme prévu, le « Vieux Luo » a ébranlé l’Internet chinois dans son premier live-commerce. Si une moitié des produits se sont vendus sur des sites d’e-commerce traditionnel comme Tmall et Taobao, le reste des achats ont été réalisés directement en ligne sur Douyin, grâce à une fonctionnalité jusqu’ici méconnue du grand public. La fin du confinement marque alors un nouveau chapitre du marketing chinois.

Une brève histoire du live-streaming chinois

Pour comprendre l’origine de cette furie du live-streaming en Chine, il faut remonter à 2015, où la démocratisation des smartphones et de la 4G crée un terrain propice au live-streaming de divertissement, notamment dans le domaine des jeux vidéo. Bénéficiant d’un important afflux de capitaux, le marché se professionnalise. En 2016 naît Taobao Live, la plate-forme de diffusion en direct d'Alibaba.

Li Jiaqi en 2020 © Compte officiel Weibo de Li Jiaqi

La clé du succès du live-commerce réside plus dans la capacité de négociation avec le fournisseur que dans le trafic en ligne.

Pionnier du live-commerce, Taobao Live affiche 26 milliards d’euros de volume de transactions en 2019. L’influenceur Li Jiaqi, surnommé le « Petit Prince du rouge à lèvres », capable de vendre en un mois plus de 100 millions d’euros de produits, en est aujourd’hui le visage le plus médiatisé. Plutôt beau gosse, ce jeune homme un peu loufoque est surtout connu pour ses « Oh my God » à tout-va. Mais ce qui attire ses acheteurs- followers, c’est qu’il promet avant tout le meilleur prix pour les produits qu’il recommande. Autrement dit, la clé du succès du live-commerce réside plus dans la capacité de négociation avec le fournisseur que dans le trafic en ligne. Comparé au modèle traditionnel, « le live-commerce assure une interaction simultanée, et réduit le temps de décision chez les acheteurs, qui voient de leurs propres yeux tous les aspects des produits recommandés », analyse le rapport du cabinet Cmschina. L'arrivée de la 5G en Chine est attendue pour booster davantage le secteur. Tous les géants de l’Internet chinois s’y mettent : après Douyin, le réseau social Wechat et le moteur de recherche Baidu se lancent également. Véritable intérêt ou peur de rater le coche ? L’avenir nous le dira.

Pour se relever de la crise du Covid-19, le live-commerce à tout prix

Dans l’imaginaire collectif, le métier d'influenceur est synonyme d’une vie bling-bling et superficielle, suscitant la méfiance de certains chefs d’entreprises. Dans le passé, le live-commerce était une option, loin d’être une obligation. Mais aujourd’hui, l’épidémie change la donne. Alors que les boutiques physiques commencent à mettre la clé sous la porte, de nombreux directeurs de marques n’hésitent plus à enfiler leurs nouveaux habits de « streameur » pour booster les ventes. L’urgence oblige. Ainsi de la marque de chaussures chinoise Aokang. Le 23 mars dernier, 1 000 vendeurs ainsi que le fondateur de la marque se sont filmés en direct sur Taobao Live pour réunir au total 2,28 millions de spectateurs dans un défi inédit (36kr).

Wang Zhentao, fondateur de la marque Aokang s'est filmé en direct sur Taobao Live © Compte officiel Weibo de Aokang

Une aventure collective et précipitée qui n’aura pas marché pour tout le monde. Fin mars, Louis Vuitton démarre son premier live-streaming sur la plateforme RED. 70 minutes pour n’attirer que 15 000 spectateurs et une déferlante de commentaires négatifs... Beaucoup d’internautes ont jugé le décor rudimentaire catastrophique, loin d’être à la hauteur de la marque. « Briser les stéréotypes ne veut pas dire briser son image », ironise le site d’information économique Sycaijing.

Le 10 avril, Luo Yonghao, « streameur » reconverti, plus professionnel et préparé, s’attaque à son deuxième live-streaming. Mais l’effet de surprise n’est plus là. Son audience chute de 80 %. D’autant plus que les écrevisses qu’il a vendues ont déjà déclenché des plaintes de la part des consommateurs. Dans le nouveau monde du live-commerce, la dure réalité rattrape toujours la légende que l’homme tente de se créer.


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